INTERVIEW

Michel Bellier · Auteur

BONJOUR MICHEL, POUR COMMENCER POUVEZ-VOUS VOUS PRÉSENTER ?

Je m’appelle Michel Bellier, je suis comédien de formation, ayant étudié au conservatoire. Aujourd’hui, je me consacre principalement à l’écriture en tant qu’auteur dramatique et scénariste. Depuis 2003, date de ma première pièce publiée, j’ai la chance de voir mes œuvres régulièrement jouées et appréciées. Certaines ont même reçu des prix. J’ai également eu l’opportunité de participer à plusieurs résidences d’écriture, ce qui m’a permis de rencontrer d’autres auteurs, de découvrir différentes structures d’accueil et de recevoir des commandes de compagnies variées.

"Les filles aux mains jaunes", mis en scène par Joëlle Cattino

QU’EST CE QUI VOUS A AMENÉ VERS L’ÉCRITURE ?

Dès mes débuts en tant que jeune comédien au conservatoire, j’étais déjà très passionné par la façon dont les pièces sur lesquelles nous travaillions étaient construites, qu’elles soient classiques, de répertoire ou contemporaines. J’étais fasciné par la façon dont ces œuvres étaient “bricolées” et architecturées de l’intérieur. Je me demandais quels étaient les “secrets” de ces pièces, qui traversaient les siècles et qui continuaient de nous parler aujourd’hui.

Assez rapidement, je me suis intéressé à ce que je ne connaissais pas encore, ce qu’on appelait la dramaturgie. J’ai voulu comprendre comment les tragédies antiques, les classiques, les comédies de Molière, ou celles du XVIIIe siècle jusqu’à aujourd’hui étaient écrites, travaillées et construites, et pourquoi les personnages de ces pièces résonnaient encore en nous.

C’est véritablement ma pratique du théâtre en tant que comédien qui m’a poussé vers l’écriture. Je pense que cela a influencé mon style, en me donnant une certaine intuition de ce qu’on appelle “l’horloge théâtrale” lorsque je compose une scène.

EST-CE QUE VOUS ÊTES ENCORE COMÉDIEN AUJOURD’HUI ?

Non, enfin, je pourrais toujours l’être, car cela m’intéresse encore énormément. Mais je me suis tellement investi dans mon travail d’auteur et de scénariste que cela prend toute mon énergie. C’est un travail totalement différent : en tant qu’auteur et scénariste, on passe environ 12 heures par jour assis à son bureau. L’énergie demandée et le processus de construction mentale sont très différents de ceux d’un comédien. Aujourd’hui, mon métier est avant tout auteur dramatique et scénariste.

POURQUOI ÉCRIVEZ-VOUS ?

C’est une question très vaste, mais ce qui me fascine sans fin dans l’écriture, c’est le pouvoir de l’imagination. Le pouvoir que l’on a avec simplement une feuille et un stylo, celui de construire une multitude de mondes différents, d’imaginaire divers. C’est vraiment ça qui m’intéresse avant tout. C’est fascinant de voir comment une petite idée, qu’on a tout seul dans son bureau, un jour ou un soir, peut commencer à grandir et se construire dans notre imaginaire. Et puis, cette idée prend forme, que ce soit sous la forme d’une pièce de théâtre ou d’un scénario, mais elle se projette vers l’extérieur, elle rencontre d’autres imaginaires : ceux du metteur en scène, du réalisateur… Ce processus, de partir d’un objet aussi simple et peu coûteux pour créer des mondes aussi vastes, est assez incroyable. On peut créer des mondes futuristes, antiques, des univers qui n’existent pas, mais qui, en même temps, résonnent avec tout le monde. C’est vraiment cette capacité à créer qui me fascine dans l’écriture.

POURRIEZ-VOUS NOUS PARLER DAVANTAGE “DES FILLES AUX MAINS JAUNES” ?

C’est une pièce qui me tient particulièrement à cœur, non seulement parce qu’elle est largement jouée et qu’elle rencontre un succès populaire indéniable depuis sa création, mais aussi parce que je suis vraiment fier, sans fausse modestie, de l’avoir écrite. C’est un projet que je portais depuis plusieurs années. Il combine deux éléments : d’abord ma fascination pour la Première Guerre mondiale, car, plus de 100 ans après, nous sommes encore les héritiers de cette époque. Nous héritons du partage géopolitique, des nombreuses inventions technologiques qui ont malheureusement émergé pendant cette guerre. Ensuite, il y a mon profond intérêt pour l’histoire du féminisme. Je n’ose pas dire depuis sa « création », car le féminisme existe heureusement depuis la nuit des temps. Mais je me suis toujours intéressé à l’histoire des femmes qui, pendant longtemps, a été minorée et occultée, comme une rivière souterraine qui refait surface de temps en temps.

Ce qui m’a aussi motivé, c’était de montrer aux jeunes générations, qui ont parfois tendance à considérer les droits des femmes comme acquis et inébranlables, qu’en réalité, ce n’est pas le cas. Malheureusement, depuis la création de la pièce en 2014, on constate chaque jour que ces droits ne sont pas aussi solides que l’on pense. J’ai voulu aborder cette question : les combats, ce n’est jamais acquis, ça n’a jamais coulé de source. Personnellement, je me sens un peu héritier des années 70, une période souvent critiquée, mais qui a été décisive, notamment en ce qui concerne le droit des femmes à disposer de leur corps. C’est une avancée sociétale majeure.

Enfin, j’avais envie de montrer que les quatre personnages emblématiques de Les filles aux mains jaunes ont payé un lourd tribut pour leurs droits, même les plus élémentaires.

AVEZ-VOUS EU L’OCCASION DE  VOIR DES MISES EN SCÈNE DE VOTRE OEUVRE ?

J’ai eu la chance de voir les deux mises en scène les plus emblématiques de la pièce. La première, celle de Joëlle Cattino, directrice de Dynamo Théâtre, créée en 2014 au Théâtre Public à Bruxelles, a tourné pendant 4 ans et était vraiment formidable. C’était une mise en scène très épurée, “brechtienne”, qui avait un côté oratorio, presque une dimension de chœur. La deuxième, réalisée par Johanna Boyé, a été créée au Festival d’Avignon en 2019 et qui, elle aussi, a tourné pendant 4 ans, était également superbe bien que très différente. Plus ancrée dans le réalisme, plus orientée vers l’incarnation.

Ce qui m’a conforté et surtout ce qui m’a rendu fier, c’est que dans ces deux mises en scène, malgré leurs visions différentes, la pièce existe pleinement. Chacune a apporté une approche unique, mais dans les deux cas, elles sont restées fidèles à mon écriture. Et ce qui m’a particulièrement touché, c’est la réaction du public : les spectateurs sortaient bouleversés, que ce soit après la mise en scène de Joëlle ou celle de Johanna.

J’ai aussi été très heureux de voir ces huit comédiennes recevoir des standing ovations à chaque représentation. C’est un cadeau immense pour un auteur, et je peux seulement imaginer ce que ces comédiennes ont ressenti sur le plateau.

"Les filles aux mains jaunes", mis en scène par Johanna Boyé

PLUSIEURS TROUPES AMATEURS MONTENT ACTUELLEMENT VOTRE TEXTE, AVEZ-VOUS DES RECOMMENDATIONS, DES ATTENTES PARTICULIÈRES ? OU ÊTES VOUS JUSTE CURIEUX DE VOIR VOTRE TEXTE INTERPRÉTÉ DE PLEIN DE FAÇONS DIFFÉRENTES ?

Je sais que la pièce a été montée par plusieurs compagnies amateurs, mais je n’ai pas encore eu l’occasion de découvrir leur travail. Je suis invité à une création à Aubagne en mars et j’espère pouvoir m’y rendre, mais pour l’instant, je n’ai pas vu de mise en scène amateur. Je suis assez curieux de cela.

En général, je ne suis pas du genre à intervenir beaucoup dans les mises en scène. J’utilise souvent cette image, un peu redondante peut-être, mais qui me semble juste : je construis le bateau, puis je le regarde s’éloigner de la rive. C’est-à-dire que, après avoir écrit l’histoire, je m’efface complètement. Cette pièce a été mise en scène par des femmes et raconte une histoire de femmes et je trouve que c’est très significatif. J’en suis fier. 

Ce que j’espère, en tant qu’auteur, c’est que les comédiennes se sentent libres dans leur interprétation. Je n’ai pas de recommandations particulières à faire, si ce n’est de travailler avec tout leur cœur, car c’est aussi ce que dit la pièce : la liberté, la possibilité de s’exprimer pleinement.

"Les filles aux mains jaunes", mis en scène par Johanna Boyé

UNE ACTUALITÉ ? DES PROJETS À VENIR ?

Deux de mes pièces seront jouées au festival d’Avignon prochain. La première, une création intitulée Un toit sur la mer, sera jouée au Théâtre du Girasole à 17h30 tous les jours du festival dans une mise en scène de Joëlle Cattino.. C’est un duo entre une femme d’une cinquantaine d’années et un jeune homme, une rencontre impromptue sur un toit d’immeuble, face à la mer, un soir de printemps. L’ambiance est celle d’un port industriel, avec des odeurs de pétrole, de mazout brûlé et de départs de porte-conteneurs. Ce jeune homme, monté là pour une raison bien précise, est surpris par cette femme. C’est une rencontre intergénérationnelle qui, petit à petit, va permettre aux deux personnages de faire tomber leurs préjugés et de trouver un terrain d’entente pour bâtir un rêve commun.
Cela me tient particulièrement à cœur d’écrire pour les comédiennes de plus de 50 ans, un peu dans ce “tunnel” qu’elles rencontrent souvent, et cela me fait plaisir de leur “offrir du travail”.

Ensuite, à 20h30, au Petit Chien, il y a Quelque chose a disparu mais quoi ?, une reprise de mon texte écrit l’an dernier. C’est un seul en scène, une pièce d’anticipation, mise en scène et jouée par Joëlle Cattino. L’histoire suit la dernière survivante de l’espèce humaine, un futur bien après 2050, qui, par hasard, a survécu et cherche à entrer en contact avec ce qui reste de l’humanité. La pièce parle du futur, mais engage aussi notre présent, en lien avec le réchauffement climatique et la catastrophe annoncée pour 2050, qui semble se rapprocher chaque jour. C’est un seul en scène à la fois drôle, tendre et émouvant. Joëlle, en tant que metteuse en scène et comédienne, est absolument éblouissante dans ce rôle.

POUVEZ-VOUS NOUS DIRE DEUX MOTS SUR VOTRE RELATION AVEC ÉMILE LANSMAN QUI ÉTAIT LÀ À VOS DÉBUTS ?

C’est un véritable complice, quelqu’un qui m’a fait confiance en tant qu’auteur, en publiant l’une de mes premières pièces, L’étincelle, en 2003. C’est un homme formidable, qui défend avec passion l’écriture théâtrale contemporaine sous toutes ses formes. Il a d’ailleurs été parmi les premiers à publier des auteurs africains, et il édite de nombreux textes de femmes. Ce qui est aussi remarquable, c’est que son catalogue est largement diffusé dans tout l’espace francophone, ce qui est loin d’être le cas de toutes les maisons d’édition théâtrales. Enfin, son dynamisme est impressionnant. Il ne se contente pas de publier, il fait vivre les textes en organisant régulièrement des débats, des colloques et des rencontres avec les auteurs. Pour moi, c’est une maison d’édition profondément militante, celle dans laquelle je me sens pleinement à ma place.

UN MOT POUR TERMINER ?

Pour ceux qui souhaitent jouer mes pièces, qu’ils essaient de me tenir informé autant que possible. Dans la mesure de mes disponibilités, je serai toujours ravi de découvrir leur travail, qu’ils soient amateurs ou professionnels, peu importe. Je pense que le théâtre a un élément fondamental : il est vivant. Il ne faut surtout pas s’en priver, et c’est pour cela que, tant que les auteurs sont vivants, il est important de les contacter, de créer des échanges. C’est ainsi que l’on gardera le théâtre comme un spectacle vivant, sans sacraliser la présence de l’auteur.

Je suis à la fois très content, mais aussi un peu inquiet pour l’avenir, surtout concernant la culture en France, et plus particulièrement le spectacle vivant. Je crois que c’est grâce à ce type d’échange que l’on peut se sentir un peu plus forts ensemble.

Complétez votre lecture avec les interviews de Joëlle Cattino et Émile Lansman.

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