Robert Poudérou vient de nous quitter, le 13 mai dernier à l’âge de 87 ans.
INTERVIEW
JEAN-PAUL SABY
JEAN-PAUL, COMMENT AS-TU RENCONTRÉ ROBERT POUDÉROU ?
Grâce à l’Avant-Scène Théâtre. En juin 1987, j’avais acheté le numéro intitulé « Jeunes Auteurs » qui contenaient deux textes. Je voulais faire travailler dans mon atelier le premier texte « Dona Juana » d’Anca Visdei. Le deuxième était « Pendant que vous dormiez » de Robert Poudérou, pièce alors « mise en jeu » au Théâtre du Petit-Odéon. Elle relate l’équipée, pendant la guerre d’Algérie, d’un commando français engagé dans une chasse “aux rebelles”. Raymond, François, Roger, Simon sont appelés du contingent, appelés à pacifier l’Algérie. Certains n’en reviendront pas, aucun n’en sortira intact. Cette pièce à 22 personnages, réaliste et tragique, a provoqué un choc en moi. Comme le dit Guy Sabatier « à une époque où face à la guerre d’Algérie, les auteurs de théâtre n’ont pas brillé par leur courage, à l’exception de Jean Genet dans sa pièce Les Paravents […] cette pièce est une perle rare » (*). Dans la courte préface pour l’Avant-scène Victor Haïm, écrivait : « […] auteur informé mais jamais pontifiant, il sait parler de tout ce qui nous touche. Plus et mieux qu’un auteur engagé, il est un auteur concerné ! Oui, je préfère décidément ce terme. Il s’interroge et nous secoue. Il ne veut pas que nous dormions ! ».
ET ENSUITE ?
Je l’ai ensuite un peu oublié mais dix ans plus tard au 11 e Festival de Châtillon, nous avons programmé « Les princes de l’Ailleurs ». J’ai découvert une autre facette de son écriture, toujours « engagée » mais beaucoup plus poétique. En fait, Robert était un auteur très prolifique : www.mascarille.fr recense 59 pièces de lui, dont 4 coécrites ! Sa production s’étendait de la comédie psychologique à la pièce politique, de la parodie à la farce, du recueil d’aphorismes à la fresque historique.
Outre son engagement politique et social, il soulignait lui-même « une autre forme de mon engagement social dans mes pièces [est] celle de mon exploration de la galaxie homme-femme » (*). Il a en effet beaucoup écrit sur l’amour et ses diverses formes. Une pièce très caractéristique est Parce que c’était lui, parce que c’était moi qui traite bien entendu de l’amitié (ou l’amour, le saura-t-on jamais ?) entre Montaigne et La Boétie, vue à travers les dialogues avec Françoise son épouse légitime et Marie de Gournay, sa “fille d’alliance”. Robert a donné ensuite un nouveau titre à sa pièce : Montaigne ou Dieu que la femme me reste obscure. Tout est dit, tant dans le thème de cette pièce que dans l’évolution de son titre.
Et quand on lui demandait ce que le finalement le théâtre représentait pour lui, il répondait : « Le théâtre est le dernier refuge du Sacré, le lieu, où écrivant mes pièces, j’ai essayé avec plus ou moins de réussite, de m’approprier l’Universel » (*)
QUE REPRÉSENTE-T-IL POUR LE FESTIVAL DE CHÂTILLON-SUR-CHALARONNE ?
Depuis 1997 plusieurs pièces de Robert Poudérou ont été programmées au Festival. En 2013, il avait vu avec un grand plaisir Parce que c’était lui, parce que c’était moi au 27e Festival, produite par une troupe qui lui était chère, « Le Valet de Cœur » de Clermont-Ferrand.
C’étaient ses adieux au Festival, mais personne ne le savait. Pendant ces 17 années, il a presque toujours été là. Il a animé des ateliers, participé à des forums. Il a même fait des lectures de ses textes. Il avait noué des liens d’amitié avec tous les organisateurs et toutes les troupes participantes.
En 2002, il remettait le Prix Jean Tardieu à la troupe du TGV pour « Thé à la Menthe ou Thé Citron ». La troupe lui fit ensuite l’immense plaisir de l’inviter dans les tribunes du stade Geoffroy Guichard à Saint-Etienne. Car Robert n’avait pas que la passion de l’écriture théâtrale, il avait aussi celle du foot où il était un supporter inconditionnel de l’ASSE.
Dans un appel téléphonique pendant le confinement, il regrettait que son état de santé ne lui permette plus de venir au Festival, où il avait vécu, disait-il, ses plus beaux souvenirs de théâtre.
ET L’ACADÉMIE ?
Dès le 22 mai 1999, lors de la séance inaugurale, Robert rejoignait l’« Académie Internationale des Auteurs Dramatiques Contemporains de Châtillon-sur-Chalaronne » où il avait été coopté par ses vieux amis et complices Claude Broussouloux et Victor Haïm. Il y rejoignait Jean-Paul Alègre, Guy Foissy et Israël Horovitz.
L’académie avait prévu de se choisir un « secrétaire éphémère » (pour se démarquer de l’autre Académie), mais Robert en a assuré un secrétariat quasi-perpétuel autant que chaleureux, après que Claude Broussouloux lui ait transmis le flambeau de l’initiateur. Sans jamais se prendre au sérieux, il prenait très au sérieux son rôle. Outre sa grand séance solennelle à Châtillon lors du Festival, l’académie tenait une réunion de travail en hiver à Paris pour – entre autres – coopter ses nouveaux membres. Conscient de la nécessité d’accueillir des autrices dans ce noyau initialement masculin, il avait prononcé en 2002 le discours de réception de Fatima Gallaire. En 2014, il a transmis le secrétariat à Gérard Levoyer.
GLOBALEMENT, QUELLE ÉTAIT LA PLACE DE ROBERT DANS LE THÉÂTRE AMATEUR ?
Dans la nécrologie parue le 16 mai sur www.webtheatre.fr Gilles Costaz dit « Toujours joué par des compagnies amateurs […] il était, ces dernières années, quelque peu oublié du monde culturel ». On ne pouvait rêver plus bel hommage d’une part envers le théâtre amateur qui répare les oublis du « monde culturel » et aussi envers Robert qui a toujours été sur la longueur d’ondes des amateurs. Les amateurs étaient sont vrai monde. Même si son rêve de jeunesse, devenir réalisateur de cinéma, l’avait attiré à Paris, il est toujours resté fidèle à ses origines périgourdines dans un milieu très simple (son père était menuisier de village). Il avait fondé en 1993 dans son village natal de Mensignac (Dordogne) le « Festival de la Mémoire des Humbles » où se mêlaient sur scène professionnels et amateurs dans des fresques théâtrales « racontant l’histoire de la France profonde, de cette France des gens de peu » (*).
Lucien Attoun (cité par Gilles Costaz) qui avait accueilli Robert dans son émission Le nouveau répertoire dramatique de France-Culture, dit : « Avant l’œuvre, il y a l’homme : Robert Poudérou est de la trempe de l’honnête homme de son siècle, ballotté, pour ne pas dire harponné, par l’histoire vécue au jour le jour avec espérances flouées jamais refoulées […] Poudérou est le citoyen d’un combat pour la justice et le social, étroitement liés, toujours recommencé : ne jamais oublier, comme disait Beckett, l’innommable. […] il a su donner à entendre des témoignages de la vie, poétiquement traités et sans lyrisme emphatique. Ce sont les marques de l’écriture d’un écrivain singulier qui sait ce qu’écrire peut dire ». Marie-Paule, qui a si souvent accueilli Robert à la libraire du Festival ajoute « c’était un vrai grand auteur de théâtre, dont l’écriture reste tellement belle, en excellent français. Un troubadour des temps modernes »
QUELLE CONCLUSION ?
Laissons la conclusion à Robert : « J’ai essayé de proposer un théâtre populaire, si possible intelligent mais pas didactique, toujours en équilibre entre l’émotion et l’idée » (*).
On peut dire que l’essai est réussi. Il est même transformé, par toutes les troupes amateures qui se sont emparées de ses textes pour leur plus grand bonheur… et celui des spectateurs.
(*) Citations extraites du livre de Guy Sabatier Le Théâtre de Robert Poudérou (ed. l’Harmattan, 2012).